Vers une privatisation des maisons de repos (et de soins) en wallonie : Pourquoi santhea s’oppose à la politique du Ministre Prévôt

  1. La Déclaration de politique régionale 2014 – 2019 (DPR)

En son Chapitre IX, la DPR 2014 – 2019 décrit les intentions du Gouvernement concernant les aînés et plus particulièrement :

  • « Jeter les bases d’une couverture autonomie au bénéficie de tous les Wallons » : il s’agit, suite au transfert de l’Allocation aux personnes âgées (APA) du fédéral au régional/communautaire de « mettre sur pied une véritable couverture autonomie au profit de tous les aînés de Wallonie » :
  • il s’agit essentiellement de l’indexation des barèmes et des tarifs des services d’aide à domicile, d’une articulation entre ces services et le dispositif des titres-services ainsi qu’organiser une meilleure articulation entre les différents acteurs du maintien à domicile, notamment avant et après une hospitalisation
  • Adapter l’offre d’accueil en institution, notamment :
  • Poursuivre la politique de création[1] de lits de maison de repos, de maison de repos et de soins et de court séjour et de mise en conformité des institutions relevant du secteur public et du secteur associatif
  • Subsidier les constructions pour lesquels un accord de principe a été donné par le précédent Gouvernement et envisager une réforme du mécanisme de subsidiation des infrastructures médico-sociales pour les aînés des secteurs public et associatif
  • Renforcer le contrôle des prix et notamment celui demandé aux résidents d’un nouvel établissement et intégrer un certain nombre de suppléments dans le prix journalier d’hébergement
  • Accroitre l’autonomie de gestion dans le secteur public
  • Susciter le partenariat et mettre en place un statut sui generis entre le secteur public et l’associatif pour créer et gérer ensemble des structures d’hébergement pour personnes âgées.
  1. Les décisions, les déclarations et les intentions du Ministre M. Prévot
  1. Circulaire ministérielle du 18 décembre 2014 adressée aux gestionnaires et directeurs des maisons de repos et de soins : cette circulaire vise le report au 1er janvier 2018 de certaines normes architectures et d’équipement, normes connues depuis longtemps par le secteur mais qui pour diverses raisons, dont l’insuffisance d’initiatives ou de subsides, n’étaient pas encore respectées par un certain nombre d’établissements au 1er janvier 2005. Ce report vise notamment l’exploitation de chambres à 3 ou 4 lits ! Il sera encadré par diverses mesures de contrôle par l’administration compétente.
  1. Répondant ce 20 janvier 2015 à deux questions parlementaires, le Ministre M. Prévot a précisé un certain nombre de ses objectifs :
  • Le nombre de lits de maison de repos qui sera nécessaire à l’horizon 2025, soit entre 6 000 et 9 000, dépend en grande partie des politiques alternatives résidentielles et des politiques menées en matière d’aides et de soins à domicile
  • Le besoin de prise en charge des personnes âgées conjugué avec le souhait d’un maintien à domicile et la limitation des budgets publics révèle donc un véritable défi.
  • 20 % des gens qui se trouvent en maison de repos sont des personnes qui pourraient rester chez elles si elles disposaient d’un maillage d’aides et de soins à domicile accessible et suffisamment dense ;
  • Accent sur les formes alternatives de prise en charge : résidences-services, centres d’accueil de jour, résidences-services sociales…
  • La répartition des lits de maison de repos entre les secteurs vise à garantir le libre choix de la personne âgée et une structure de prix abordable pour chacun, ce qui représente un motif impérieux d’intérêt général au sens du droit européen ;
  • Perspective d’une ventilation différente que celle que l’on connaît aujourd’hui entre les différents secteur vu l’aberration d’empêcher la création de places à l’initiative de l’investissement privé et l’insuffisance des moyens budgétaires pour pouvoir créer des lits à l’initiative des secteurs public et associatif
  • Le principe de réalité nécessite de lâcher du lest sur les ventilations entre les secteurs mais il faut trouver des modalités pour éviter une marchandisation à outrance de la prise en charge des personnes âgées
  • Un assouplissement des normes ainsi que le report au 1er janvier 2018 de certaines exigences doit s’accompagner d’un assouplissement des normes sans rabais de la qualité de l’encadrement
  • Comme prévu dans la DPR, poursuite de la subsidiation de création de lits pour lesquels un accord de principe a déjà été donné par le précédent gouvernement wallon.
  1. L’interview au Journal Le Soir du 22 janvier 2015

Outre des réflexions générales sur le contexte politique, le Ministre M. Prévot précise sa pensée sur certains points précis :

  • Dans le secteur des maisons de repos, il y a trop peu de moyens pour subventionner les projets publics et associatifs
  • Cela n’a plus aucun sens de restreindre le privé à 50 % du secteur pour des raisons idéologiques alors qu’il a les moyens de créer des places et que le public est asséché financièrement
  • Le secteur associatif est indispensable. Le public ne doit pas s’y substituer mais le soutenir autant que possible
  • La position de Santhea

Santhea constate d’abord que le Ministre M. Prévot est fort ambigu voire contradictoire dans ses déclarations qui s’éloignent souvent considérablement de la Déclaration de politique régionale (DPR).

  1. Le report des normes

Il est étonnant de devoir une nouvelle fois reporter des normes qui, pour la plupart, étaient connues depuis une vingtaine d’année ! C’est un mauvais signal pour ceux qui, dans le secteur ont tout fait pour se mettre aux normes parfois sur fonds propres.

On peut certes comprendre que des mesures négatives soient évitées lorsque des travaux sont en cours, mais pas dans les cas où manifestement les gestionnaires se sont abstenus de toute initiative.

  • Santhea insiste pour qu’un cadastre de l’état des différents établissements soit tenu à jour en permanence et soit soumis régulièrement pour information à la Commission wallonne des aînés
  • Santhea exige que l’accueil en chambres à plus de 2 lits soit interdit dans les plus brefs délais ; il y va du respect des personnes âgées dans leur dignité élémentaire
  • Santhea estime qu’il convient de libérer des moyens financiers spécifiques pour permettre aux établissements concernés des secteurs public et associatif concernés de se mettre au plus tôt à niveau.
  1. La simplification des normes

Il ne peut s’agir d’un alignement par le bas alors que depuis le décret wallon de 1997, des efforts considérables ont été fait dans les différents secteurs pour offrir aux résidents une qualité d’hébergement digne.

L’urgent est de procéder à une harmonisation des normes applicables en maison de repos et celles qui visent les maisons de repos et de soins ; idem pour les centres d’accueil de jour et les centres de soins de jour.

Il en est de même des normes (ex INAMI) qui sous-tendent l’octroi des forfaits de soins.

  • Santhea demande une harmonisation urgente des normes en vigueur sans toucher à la qualité de vie et à la sécurité des résidents ainsi que des normes relatives aux forfaits de soins.
  1. Les prix d’hébergement

Les dernières données disponibles du SPF Economie montrent, pour les maisons de reps et les maisons de repos et de soins, que la moyenne journalière des prix d’hébergement est de 36,03 € pour le secteur public, 36,83 € dans le secteur privé commercial et 39,65 € dans le secteur associatif, soit une moyenne de 37,15 pour la Wallonie, alors que cette moyenne est de 42,19 € pour l’entièreté du pays.

Il faut toutefois se rappeler que, si les évolutions de prix sont contrôlées hors index, il n’en va pas de même du « premier prix », à savoir celui qui peut s’appliquer dans un nouvel établissement ou après des travaux lourds, est fixé librement par le gestionnaire.

En constatant que de plus en plus de grosses sociétés commerciales à finalité financière, rachètent de petits établissements de nature familiale et les regroupent sur un nouveau site, il en résulte une augmentation souvent importante des prix lorsque les résidents « protégés » sont remplacés par de nouveaux résidents auxquels s’appliquent les nouveaux prix.

 

  • Santhea rappelle le rôle essentiel du secteur public dans la régulation des prix demandés aux résidents
  • Santhea insiste pour que dans les plus brefs délais, comme mentionné dans la DPR, le contrôle des « premiers prix » soit mis en place
  • Santhea demande qu’un cadastre permanent des prix demandés aux résidents et des suppléments éventuels soit réalisés et publiés sur le site Internet de l’Administration

 

  1. La répartition entre les secteurs

La capacité maximale des lits de maison de repos, la programmation par arrondissement et la répartition par secteur[2] des lits et des places bénéficiant de forfaits de soins a été instaurée sur la base du décret du 5 juin 1997 modifié par le décret du 6 février 2003 suite au moratoire instauré par le protocole d’accord du 9 juin 1997.

Il s’agissait à ce moment, dans le respect de la loyauté fédérale (moratoire), de réguler le développement anarchique du secteur privé commercial.

Alors qu’il comptait en 1997 57% des lits de maison de repos, le secteur privé commercial en compte, au 15 janvier 2015, 23 021 (lits en fonctionnement et lits programmés), soit 47,53 % du total des lits de maison de repos.

Le secteur public compte actuellement 13 514 lits de maison de repos, soit 27,90 % et le secteur associatif 11 885 lits, soit 24,54% des lits.

C’est donc le secteur associatif qui a profité au maximum des dispositions décrétales en dépassant largement son seuil de 21 %. Le secteur public a progressé, mais n’a pas atteint son seuil de 29 %.

Le secteur privé commercial dispose encore d’une marge de 1 195 lits pour atteindre son maximum.

Affirmer, comme le fait le Ministre M. Prévot, « cela n’a plus aucun sens de restreindre le privé à 50 % du secteur pour des raisons idéologiques alors qu’il a les moyens de créer des places » n’est pas pertinent :

  • Pour y parvenir, il faudrait augmenter la capacité maximale de lits en Wallonie, alors qu’il reste 2 359 lits en accord de principe et donc susceptible d’ouvrir dans les prochains mois ou les prochaines années
  • Vu la durée des amortissements (33 ans) le coût journalier couvrant les infrastructures est relativement faible alors que les forfaits de soins quotidiens (INAMI) s’élèvent à environ 50 € en maison de repos et à 70 € en maison de repos et de soins
  • Comme déjà mentionné, l’augmentation des prix journaliers d’hébergement, ne permettra plus aux résidents à revenus modestes de couvrir leurs charges, ce qui se répercutera sur les CPAS qui seront appelés à la rescousse.

C’est donc le Ministre M. Prévot qui a une position dogmatique en voulant développer le secteur privé. On peut d’ailleurs se demander si cette position vise uniquement le secteur privé commercial ou inclut le secteur associatif, au détriment du secteur public.

On peut aussi s’inquiéter de l’existence d’un agenda caché qui aboutirait à la création d’établissements d’hébergement et d’accueil des aînés hors programmation et hors intervention dans les forfaits de soins, soit une dualisation complète du secteur !

  • Santhea refuse catégoriquement toute modification de la répartition des lits et places entre les différents secteurs
  • Santhea exige, comme prévu dans la Déclaration de politique régionale, que les moyens financiers soient mis à disposition des établissements ayant obtenu un accord de principe via un système de financement conforme aux exigences européennes
  • Santhea s’oppose catégoriquement à l’émergence d’établissements d’hébergement et d’accueil des aînés à finalité purement commerciale en dehors du cadre légal.
  1. Considérations générales

Répondre aux défis du vieillissement ne peut se faire à travers la lorgnette de la seule politique budgétaire. Il convient d’intégrer beaucoup mieux l’action des multiples acteurs du secteur en abandonnant une politique de concurrence stérile entre les différents types d’interventions et les différents secteurs.

  • A cet effet, Santhea souhaite promouvoir l’émergence d’une véritable collaboration entre les acteurs concernés au sein des bassins de vie / bassins de soins ainsi, qu’à terme, la création à ce niveau d’une véritable autorité de santé publique

[1] A noter que dans sa « trajectoire budgétaire 2014 – 2015 », le Gouvernement limite l’ouverture de nouveaux lits à un peu plus de 1 700, lits déjà programmés alors que le nombre de lits de maison de repos programmé est 2 359 et celui des lits de court séjour de 606 !

[2] 29 % minimum sont réservés au secteur public, 21 % minimum au secteur associatif et 50 % maximum au secteur privé commercial